jeudi 12 juin 2008

Découvertes et retrouvailles

Enfant, je n’aimais pas Beyrouth. Elle était synonyme de poussière, d’immeubles grisonnants et criblés au millimètre.

L’atmosphère y était pesante et, à la nuit tombée, les rues se vidaient. Les réverbères, souvent allumés en plein jour et en pleine pénurie d’électricité, s’éteignaient avec l’arrivée de l’obscurité… implacable logique libanaise.

Il sortait des rares foyers éclairés le son des journaux télévisés de TéléLiban ou de la LBC. Un générique au synthé annonçait les caricatures de Pierre Sadek et s’entendait dans tout le quartier.

Ses nuits d’été sentaient le katol, étaient longues, étouffantes et moites.

Très vite, nous avons cessé d’y estiver, par souci de confort pour notre famille nombreuse mais également de sécurité. Nous préférions nous entasser à six dans un « chalet » en bord de mer à quelques lieues de la capitale. Celle-ci n’était jamais très loin. Elle était même en face. Par temps clair, nous en apercevions la forme des immeubles.
La première fois que je redécouvris Beyrouth, j’avais dix ans. C’était un dimanche après-midi d’été.

Mon Père conduisait notre vieille Mercedes blanche 280SE modèle 1970 qui se frayait un chemin entre les herbes folles et les murs de sacs de sable. Nous étions au cœur de la ville qui, disait-on, allait pouvoir se réveiller de son long cauchemar de quinze années.

La voiture s’immobilisa. « Yallah, descendez les enfants » dit ma Mère d’une voix basse, comme pour ne pas réveiller quelque âme égarée. Mon frère, mes soeurs et moi nous exécutâmes.

La guerre était bien terminée. A dix ans, je me demandais qui des gentils ou des méchants avait gagné.

De rares curieux s’aventuraient entre les égoûts éventrés, les immeubles hantés et les ruelles encore minées. Quelques vendeurs de ballons déguisés tentaient de redonner vie à la ville morte. Un vendeur de « quatre saisons » offrait rafraîchissements et cafés turcs espérant profiter de la manne que la nouvelle attraction pouvait lui apporter.

La terre très fertile était rouge.
Les immeubles alentours n’existent plus aujourd’hui.

Au milieu d’un terrain un peu vague trônaient les statues des Martyrs trouées par les balles perdues et volontaires. Je me demande encore ce qu’elles pensent. En les regardant, je m’aperçois qu’elles donnent l’impression de vouloir s’interposer entre belligérants, malgré les balles et les bombes.
La ville totalement rasée semblait m’en cacher une autre qui m’était encore inconnue.

De toute cette visite, j'en retiens surtout le silence : celui de la ville détruite et celui de mes parents la redécouvrant.

Depuis pourtant, nous sommes retournés à Beyrouth ; et malgré son élégante laideur, je l’ai dans la peau.

JP A.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

larme à l'œil

Anonyme a dit…
Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.
'Tsuki a dit…

J'adore cette réflexion : était-ce les méchants ou les gentils qui avaient perdu... Tellement désarmant, tellement terrible, tellement vrai de toutes les guerres que j'ai pu voir. Il n'y a ni gentil ni méchant dans les guerres d'influence, celles qui sont déclenchées pour un contrôle de territoire abscons et l'écoulement de nos surproductions parabellum occidentales...

Décidément je suis incapable de résister à votre style littéraire : j'adore. Simple efficace et poignant.