lundi 18 août 2008

Le Train Orange

(Dédicace aux Chroniqueurs Beyrouthins, David & Nat)



Il y a quelques jours, j'ai pris le train à Antibes pour me rendre à Marseille. Le train longe pendant près de deux heures la côte, se faufilant entre les forêts de pins et les vignes, entre maisons provençales aux tuiles rouges et plages méditerranéennes de galets ou de sable blanc.

L’accent chantonnant des voyageurs Niçois ou Marseillais se mêlaient aux paysages défilant sous mes yeux. Alors que le train s’arrêtait à Saint-Raphaël, Sainte-Maxime ou Cannes, je songeais aux côtes libanaises, jadis étrangères au béton et plus proche de la Provence que de Benidorm. Au Liban, quelques chemins de fers traversaient – et traversent encore – des routes similaires longeant les plages et contournant les montagnes. Car en effet, il existait auparavant des trains et des tramways.

En écoutant les récits de mes parents ou de mes aînés, il ressort que ce moyen de transport était populaire auprès des usagers et largement utilisé par les citadins. Avec la guerre, locomotives et wagons ont peu à peu disparu, leurs carcasses venant occuper les rares gares désaffectées à l’abri des regards et en proie à la rouille ou aux graffitis.

Toutefois, lorsque nous « estivions », j’étais témoin chaque jour d’un curieux spectacle.

Mais, avant d’y assister, j’étais chargé tous les matins d’une mission : celle de rapporter des manouchés, ces galettes de thym ou de fromage, du boulanger installé en bordure du lotissement dans le lequel nous passions l’été.

« Bonjour ! lui disais­-je » ; « Bonjourein, me répondait-il » . Je lui demandais ensuite poliment dans un arabe approximatif une douzaine de ces manouchés puis attendais à l’ombre d’un bananier qu’elles sortent du four.

Aussitôt prêtes, je m’empressais de payer le boulanger et remontais rapidement chez moi non pour dévorer ces délicieuses galettes mais pour assister au passage imminent du train orange. Ce train orange ne passait qu’une seule fois par jour et devait certainement être l’un des derniers à rouler au Liban. Il ne comptait qu’une locomotive et un wagon transportant les voyageurs. Ne voulant jamais le rater, je me postais à la fenêtre et guettais son arrivée.

Le train siffle… le voilà enfin!

Il jaillissait lentement d’entre les arbres, coupait la route menant à l’entrée de Tabarja Beach et s’arrêtait enfin pour ramasser deux ou trois voyageurs réfugiés sous un préau de fortune. Quelques minutes plus tard et après un dernier sifflement, le train orange repartait aussi lentement qu’il était arrivé vers sa destination non lointaine.

Ma manouché avait refroidi mais je la mangeais en songeant à ce tas de ferraille et d’acier parcourant les côtes et les montagnes. Arrivait-il de Tripoli ou d’Istanbul ? Peut-être allait-il à Haïfa ou Damas? S’arrêtera-t-il à Beyrouth ?
Je me surprenais à lui inventer des périples et des trajets, des déraillements façon western et des poinçonneurs moustachus à tarbouche, des banquettes en bois et des compartiments plus confortables, des voyageurs bruyants et des ouvriers se rendant au travail.

Ce train orange suscitait une curiosité telle que j’étais décidé à le voir de plus près.

Mais il était déjà trop tard : le train orange cessa de passer et je n’entendis plus jamais son sifflement. Aux abords de la gare abandonnée de Jounieh, qui était vraisemblablement sa destination, ne sont stationnés que de vieux wagons à bestiaux et de marchandises, immobilisés par le temps et la rouille.

Plus de traces du train orange de mon enfance.

Néanmoins, sa disparition me laissera enfin savourer des manouchés encore chaudes au petit-déjeuner.

8 commentaires:

Anonyme a dit…

Salut Jipé,
Le train orange s'appelait l'Automotrice.
je t'invite à consulter la série de vieilles photos que j'ai publié sur Skyscrapercity.com dont plusieurs montrant le Tramway et les chemins de fers libanais.

http://www.skyscrapercity.com/showthread.php?t=408084&page=7

Marillionlb a dit…

Il y'a quelques annees le gouvernment avait serieusement pensee a reouvrir la ligne du chemin de fer mais rien que pour le transport du betail. Ce qui serait sympa se serait de faire une ligne de chemin de fer tout au long de la cote afin de transporte les gens au differentes plages qui n'existait pas au paravant.

Anonyme a dit…

ahhhhhhhhhhhhhhhh... ce fameux train orange. kheireddine m'avait en effet envoyé une copie de l'Automotrice, mais j'avoue n'avoir pas pris le temps de pousser mon enquête aussi loin que je l'aurais voulu. mea culpa JiPé.

Anonyme a dit…

Une anecdote:
en arrivant du coté de zouk Mosbeh, les voitures se garaient sur la voie du chemin de fer.
Les conducteurs ont une fois carrément déplacé les voitures gênantes ... avec leur locomotrices :)

Anonyme a dit…

Je découvre ce blog via ce billet et déjà c'est "le voyage".

Je suis Français, et, pour moi il pourrait s'agir d'un récit parlant d'Andalousie s'aurait du être pareil. Mais pour avoir été bon nombre de fois au Liban je ne peux que me prêter, le couer lourd, à rêver aux temps anciens, aux bons vieux temps de ce superbe pays.

Je vais lire à droite à gauche par ici, je te remercie pour ce beau texte :)

JiPé Achkar a dit…

@ ekios

merci pour ton message et pour les encouragements! J'essaye de faire de mon mieux et de m'appliquer dans l'écriture, en espérant que ma mémoire ne me fasse pas trop défaut.

@kheir

merci pour le lien. Les photos sont très belles.

Anonyme a dit…

Le train orange

http://almashriq.hiof.no/lebanon/300/380/385/railways/branches/beirut/20020224-beirut-furn-el-shebbak-stockyards/index.html

JiPé Achkar a dit…

@ Kheir

MERCI MERCI! C EST BIEN CELUI LA!

waou... c'est effectivement celui là, et je ne rêvais donc pas. Il était bien orange!

merci encore. Je pense que j'en mettrais qq photos sur mon blog.