jeudi 29 mai 2008

La radio de mes parents

Un soir, je marchais avec un ami dans les rues mal éclairées de Londres. Nous nous racontions notre perception des derniers évènements (quel doux euphémisme) de Beyrouth.

« Quel formidable outil, Internet ! »

Effectivement. À chacun sa méthode pour se tenir informé de nos jours.
Les blogs pullulent sur la toile, nous informant en temps et en heure des derniers développements. Les dépêches des agences de presse tombent régulièrement. Les journaux télévisés sont rediffusés sur la toile tantôt en direct, tantôt en différé si bien que nous avons vu et revu les mêmes éditions des dizaines de fois.

Bref.
Mais le plus formidable, n’est-il pas de pouvoir écouter les radios, et plus particulièrement celles émettant à partir du Liban. Mon ami me racontait que les jingles de certaines radios n’avaient pas vraiment changé, ou tout au plus, avaient été réadaptés et modernisés.

Cela fait longtemps que je ne les écoute plus les radios libanaises.

Nous sommes donc partis dans de brèves imitations de ces jingles qui avaient, d’une certaine manière, marqués nos enfances respectives et qui nous donnaient le sourire.
Il était étonné de voir que moi-même l’émigré-expatrié les connaissait par cœur.

Oui, je les connais par cœur ces inquiétants jingles de radio, ces génériques d'émissions.

Avant la télévision par satellite, l’information n’étant pas ce qu’elle est devenue aujourd’hui, il était essentiel pour les Libanais installés à l’étranger de s’informer très vite.
Les coups de téléphone « n’accrochaient » pas, il n’y avait jamais de « khat », de tonalité. Il fallait s’informer au plus vite du « flash » au moment où il tombait. Savoir si la famille, les proches ou les amis étaient exposés au danger relaté.

Le « flash », un terme que je déteste parce qu’il claque à mes oreilles… et parce qu’aussi annonciateur de mauvaises nouvelles.

Le meilleur moyen était donc la radio.
La nôtre ne sert plus depuis des années mais mes parents l’ont gardé quelque part, au fond d’un débarras. Nous l’allumions tous les soirs avant ou pendant le dîner.
Toute ma famille était alors réunie.

Nous attendions ce fameux jingle.

Notre radio était de couleur noire et de marque National (si je ne me trompe pas), avait quelques boutons de couleur grise pour régler la fréquence ainsi qu’une sorte de planisphère bleu représentant les fuseaux horaires.
Mon père déployait la longue antenne de celle-ci et, portant le lourd engin à bout de bras ou parfois au-dessus de sa tête, essayait de capter une timide onde qui daignerait passer du côté du Golfe Persique. Il fallait parfois monter sur le canapé pour pouvoir capter une onde à hauteur du plafond.

Le silence se faisait alors; nous tendions l’oreille. La voix parfois inaudible et monocorde du journaliste émergeait au milieu de la friture.

Les informations tombaient en arabe. Mon père écoute religieusement en jouant avec sa moustache, ma mère une cigarette à la main essaye de me cacher ainsi qu’à mon frère et mes sœurs son angoisse.

« Jingle… Voiture piégée… friture… Beyrouth Est… francs-tireurs… FLASH… bataille… syriens… Musée… Ring… bombardements… secteurs…civils… Beyrouth Ouest… FLASH… Jounieh… Aéroport fermé… enlèvements… attentats… FLASH…victimes… friture… jingle… friture… »

Mes parents sortaient de cette séance radiophonique comme sonnés. Point de langage codé comme du temps de la B.B.C. Londres. Les mots étaient directs, horriblement simples et crus.

Nous nous inquiétions pour notre famille. Nous observions, écoutions le naufrage.

Jingle de fin.
Il ne me fait finalement pas vraiment sourire… mais provoque encore comme une douleur, une boule dans mon ventre.

JP A.

mercredi 21 mai 2008

Le Liban est un rubicube

Aujourd'hui, le Liban semble se diriger vers une "sortie de crise" qui dure depuis près de 18 mois.
18 mois pour parvenir à un accord... 18 mois pour résoudre le(s) problème(s) de ce petit pays habité par autant de communautés religieuses.
A supposer qu'ils aient été réellement réglés.
Que dis-je 18 mois?! 18 ans!
Après avoir exaspéré les Libanais, nos marchands de tapis politiques ont décidé d'aller exaspérer les Qatariotes, en leur tendant le rubicube libanais.
L'exaspération vient certainement du fait qu'alors que tout le monde était d'accord sur la personnalité devant exercer les fonctions de Président de la République en Ruine, personne n'arrivait à l'y mettre.
En l'espace de cinq jours à Doha, des communiqués et des dépêches aussi optimistes que pessismistes se sont succédés. A croire que certains ne voulaient pas se mettre d'accord.
Rééquilibrage? Elections? Cooptation? Loi électorale? Majorité qualifiée ou simplette? Résistance nationale ou islamique?
Attendons voir. Restons optimistes. Inchallah kheir comme on dit.
Une nouvelle page s'écrit peut-être, avec tous les Libanais sans exclusion, ceux imberbes et ceux à la pilosité au menton douteuse.
Aujourd'hui, nous pourrons nous gaver de baklawa au son inquiétant des feux d'artifice pour fêter cet accord...
En espérant que personne ne tente de (re)jouer avec le rubicube libanais...
JP A.

Le soleil s'est levé...bienvenue!

Ça y est... j'ai cédé à la tentation.
Celle d'écrire, encore et encore...
Au départ, assez sceptique quant à l'utilité d'un Blog, je m'aperçois qu'il constitue aujourd'hui un formidable outil d'échange de notre temps, un espace de réflexion, d'expression libre et éclairée (si possible... biensûr), et de témoignage.
Pourquoi "Un Blog Levantin"?
Le terme "levantin" désigne les habitants du Proche-Orient, et plus particulièrement, les sujets des sultans ottomans à partir du XIXème siècle.
Au fil des générations, des guerres et des paix, certains levantins se sont dispersés, ont émigrés ou se sont réfugiés dans des pays lointains ou plus proches. D'autres se sont enracinés à leurs terres davantage.
Et l'Histoire semble toujours se répéter.
Aujourd'hui, j'ai le cul entre deux, trois, voire quatre chaises.
Je ne suis peut-être pas véritablement un Levantin; je le suis peut-être. Je m'en rapproche sûrement... Moi-même je ne sais pas!
Mon regard se porte toutefois de l'autre côté de la Méditerranée. Vers cette région où le soleil se lève, vers le Levant.
Go East!
Pas de frontières.
Le champ de ce Blog ne se limitera donc pas au Levant, à l'Orient, ou plus particulièrement au Liban même si j'y puise mon inspiration; mes racines s'y trouvent.
Je vous souhaite une agréable lecture.

Ici Londres... les carottes sont cuites... je répète... les carottes sont cuites...

Ecrit le 14 Mai 2008.

- « Tu es du 14 Mars ou du 8 Mars ? »

- JE T’EMMERDE CONNARD !

Les jours et les nuits blanches passent. Je fais, refais, défais le Liban, son passé et son avenir jusqu’au petit matin.

Je cherche à m’en tenir aux conséquences à court ou moyen terme de ces derniers évènements. A leurs conséquences sur le Liban, uni et indivisible, libre, souverain et indépendant du « Lundi 14 Mars 2005 ».

Le méchant, c’est toujours celui d’en face ; et celui au milieu, on y a pensé ? Libanais étranger à toutes ses querelles de pouvoir va une fois de plus se retrouver au milieu de tout cela… à moins qu’il ne décide de mettre les voiles à jamais.

Je suis en colère et je n’ai même plus la force de prier. Prier pour qui ? Pour quoi ? Pour quelle idée du Liban ? Si demain le calme y revient ainsi qu’un semblant de paix, il reste qu’il y aura comme un arrière-goût pourri à tout cela. Les vieux démons du passé ont déjà ressurgi. Les lignes de fractures se sont déjà formées. On parle de crise politique en en dessinant des contours strictement communautaires. Cherchez l’erreur.

Je suis en colère parce que certains tolèrent et feignent de ne pas voir ce qui se passe. Jadis cernés par Israël, et la Syrie, nous voilà même menacés par nos propres frères. Les portraits d’un certain dictateur Syrien zozotant sont de retour à Beyrouth. Ni Est, ni Ouest, mais Beyrouth que je ne veux pas diviser ; je refuse la ligne verte.

On brûle des médias, et certains ne s’insurgent pas simplement parce qu’il s’agit du camp adverse. Cautionnent-ils ce qui fut fait à la MTV ? Cautionnent-ils ne serait-ce qu’une seule chose de ce qui s’est déroulé ? Tout ? Pas tout ? Ah bon… je ne savais pas qu’il y avait un menu et que l’on pouvait choisir son « forfait ».

Propagande et contre-propagande… les maîtres mots dans cette guerre civile froide, cette guerre subversive, sous-traitée à de probables traîtres.Je ne veux plus croire personne, je ne sais plus en qui croire.

Débranchez la télé et les « akhbar » et réfléchissez un peu.

Le temps des miliciens et des cow-boys encagoulés est de retour : RPG, Kalach, M16, drapeaux jaunes ou verts ou noirs fascisants. « Ils n’oseront pas retourner leurs armes contre les Libanais » disait-on… Et aujourd’hui, on se confond encore en excuses et prétextes pour justifier qu’ils l’aient fait : « Ils n’avaient qu’à pas nous chercher ».Une armée qui ne tire pas et ne s’opposera pas à l’assaut des illogiques car elle pense jouir pour l’éternité d’une aura populaire.Blocus du Port et de l’aéroport, des principaux axes. Tous les ingrédients du "parfait petit coup d'état étaient réunis", n'en déplaisent à certains.

Je suis en colère parce que beaucoup de martyrs se retournent dans leurs tombes. Je ne parle pas seulement des Martyrs tombés récemment, mais plutôt des Anonymes. Ceux tombés un 13 Octobre 1990 par exemple, parce qu’ils ont cru en un homme et en une certaine idée du Liban.

Israël, Syrie, Hezbollah : même combat. Celui d’un travail de sape savamment et habilement orchestré (bravo!). Un travail qui aura brisé l’élan et les espoirs de ma génération. Parce que nous n’étions pas suffisamment forts pour affronter l’Histoire, parce que nous avons (re)suivi les mêmes hommes obnubilés par l’intérêt de leur petite personne, parce que nous avons été naïfs.

Parce que nous ne sommes pas seulement un peuple de moutons, mais également d’autruches.

Je ne défends personne, je ne cautionne personne et je n'excuse personne.

Je vais me coucher. Le soleil vient de se lever.

JP A.