« Quel formidable outil, Internet ! »
Effectivement. À chacun sa méthode pour se tenir informé de nos jours.
Les blogs pullulent sur la toile, nous informant en temps et en heure des derniers développements. Les dépêches des agences de presse tombent régulièrement. Les journaux télévisés sont rediffusés sur la toile tantôt en direct, tantôt en différé si bien que nous avons vu et revu les mêmes éditions des dizaines de fois.
Bref.
Mais le plus formidable, n’est-il pas de pouvoir écouter les radios, et plus particulièrement celles émettant à partir du Liban. Mon ami me racontait que les jingles de certaines radios n’avaient pas vraiment changé, ou tout au plus, avaient été réadaptés et modernisés.
Cela fait longtemps que je ne les écoute plus les radios libanaises.
Nous sommes donc partis dans de brèves imitations de ces jingles qui avaient, d’une certaine manière, marqués nos enfances respectives et qui nous donnaient le sourire.
Il était étonné de voir que moi-même l’émigré-expatrié les connaissait par cœur.
Oui, je les connais par cœur ces inquiétants jingles de radio, ces génériques d'émissions.
Avant la télévision par satellite, l’information n’étant pas ce qu’elle est devenue aujourd’hui, il était essentiel pour les Libanais installés à l’étranger de s’informer très vite.
Les coups de téléphone « n’accrochaient » pas, il n’y avait jamais de « khat », de tonalité. Il fallait s’informer au plus vite du « flash » au moment où il tombait. Savoir si la famille, les proches ou les amis étaient exposés au danger relaté.
Le « flash », un terme que je déteste parce qu’il claque à mes oreilles… et parce qu’aussi annonciateur de mauvaises nouvelles.
Le meilleur moyen était donc la radio.
La nôtre ne sert plus depuis des années mais mes parents l’ont gardé quelque part, au fond d’un débarras. Nous l’allumions tous les soirs avant ou pendant le dîner.
Toute ma famille était alors réunie.
Nous attendions ce fameux jingle.
Notre radio était de couleur noire et de marque National (si je ne me trompe pas), avait quelques boutons de couleur grise pour régler la fréquence ainsi qu’une sorte de planisphère bleu représentant les fuseaux horaires.
Mon père déployait la longue antenne de celle-ci et, portant le lourd engin à bout de bras ou parfois au-dessus de sa tête, essayait de capter une timide onde qui daignerait passer du côté du Golfe Persique. Il fallait parfois monter sur le canapé pour pouvoir capter une onde à hauteur du plafond.
Le silence se faisait alors; nous tendions l’oreille. La voix parfois inaudible et monocorde du journaliste émergeait au milieu de la friture.
Les informations tombaient en arabe. Mon père écoute religieusement en jouant avec sa moustache, ma mère une cigarette à la main essaye de me cacher ainsi qu’à mon frère et mes sœurs son angoisse.
« Jingle… Voiture piégée… friture… Beyrouth Est… francs-tireurs… FLASH… bataille… syriens… Musée… Ring… bombardements… secteurs…civils… Beyrouth Ouest… FLASH… Jounieh… Aéroport fermé… enlèvements… attentats… FLASH…victimes… friture… jingle… friture… »
Mes parents sortaient de cette séance radiophonique comme sonnés. Point de langage codé comme du temps de la B.B.C. Londres. Les mots étaient directs, horriblement simples et crus.
Nous nous inquiétions pour notre famille. Nous observions, écoutions le naufrage.
Jingle de fin.
Il ne me fait finalement pas vraiment sourire… mais provoque encore comme une douleur, une boule dans mon ventre.
JP A.